Writober 5 – Lame
Tout était prêt, le plan de travail était organisé: planche, légumes, récipients. Il commença alors par affûter ses couteaux. Il tâta le fil de la lame du plus grand, celui qui lui servirait pour détailler les légumes. Satisfait, il plaça devant lui lune carotte épluchée. Il prépara sa main gauche: phalanges repliées de façon à maintenir la carotte avec les ongles tout en présentant une surface de ses doigts plane et parallèle à la lame du couteau qu’il allait abattre à coups rapides. Il appliqua la consigne maintes fois répétée: le couteau dont la pointe ne quitte pas la planche! A force, il commençait à avoir un rythme proche de celui des grands chefs qu’il avait tant enviés. Avec les semaines de pratique, le plaisir avait pris le pas sur l’appréhension. Le bruit de la cuisine alentours s’estompait à mesure que les récipients se remplissaient de bâtonnets et de rondelles.
À chaque fois le souvenir de sa grand-mère s’invitait à cet exercice de découpe. Il revoyait cette petite bonne femme qu’il avait tant aimée regarder préparer les repas dans sa cuisine de campagne. Elle aurait été recalée à l’examen d’entrée: elle épluchait et éminçait ses légumes assise, au-dessus d’un vieux journal déplié. Elle venait couper ses cubes de pommes de terre en faisant rebondir la lame de son petit couteau non pas contre une planche mais contre la pulpe du pouce, égrenant les morceaux dans le saladier placé en-dessous.
Elle aurait été fière de lui et se serait aussi bien moquée si elle le voyait dans cette cuisine. « Une cuisine ça? Un hôpital plutôt! Et puis, qu’est-ce que ça y connaît en cuisine un bonhomme? » aurait-elle maugréé.
Un coup de torchon dans les mollets le sortit de sa rêverie et lui fit accélérer la cadence. Il se mordit la joue pour ne pas riposter ou réagir. Allez, plus que quelques mois avant les examens. Le chef de La Charmille, le restaurant préféré de sa grand-mère, les attendait lui et son diplôme.
Ce texte s’inscrit dans une série qui s’alimentera au cours du mois d’octobre, en lien avec un détournement de Inktober. Le détournement est une idée de Kozlika : au lieu d’un dessin par jour, ce sera un texte inspiré par le mot du jour
2 commentaires
La précision du geste qui touche à l’art !
Excellente formule!