Chabada bada … boum
La lumière du soleil couchant en cette fin d’été mettait en valeur les reflets dorés de sa chevelure qui voletait au gré de la légère brise marine. Après le délicieux dîner en bord de mer, un peu grisés par le vin blanc, ils longeaient maintenant la plage en se tenant la main. Il s’aperçut que le vent l’avait faite frissonner. Il s’en inquiéta, défit sa veste pour la poser sur ses épaules. Elle le remercia. Leurs regards se croisèrent, pleins leur désir. Il profita d’avoir ses mains sur ses épaules ajustant la veste pour l’enlacer et l’embrasser.
« Et tout de suite un point circulation sur Autoroute FM ! ».
La radio la sortit de ses rêveries à l’eau de rose. Il fallait qu’elle redescende sur Terre : d’après leurs nombreux échanges ces dernières semaines, il ne semblait pas être le genre à prendre des initiatives, ni à jouer les Jean-Louis Trintignant à Deauville. C’est elle qui avait réussi à organiser cette rencontre sur la côte atlantique pour un restaurant de fruits de mer. En repensant à la façon dont leur relation avait évolué, c’était elle qui s’était montrée la plus entreprenante. Elle s’était inquiétée de passer pour une femme pressée de passer la seconde, tourmentée par la célèbre horloge biologique. Il l’avait rassurée, la vitesse de progression lui convenait, il lui déléguait volontiers le soin de mener la danse.
Aujourd’hui, elle avait envie de se laisser porter. Elle aimerait que ce soit lui qui l’embrasse en premier. Cela se rapprochait des clichés dans lesquels sa rêverie l’avait emmenée. Sans être cliché, elle avait le droit de vouloir intervertir les rôles jusqu’ici endossés par chacun. C’était ça aussi l’égalité homme-femme après tout !
Lorsqu’elle arriva au restaurant, il était déjà attablé. Il se leva à son approche et l’accueillit par un généreux sourire. « J’ai demandé la table qui serait sous l’éclairage le plus flatteur, j’espère que c’est réussi ! ». Ouf, on avait échappé à « Enfin, on se rencontre ! » ou « Tu es mieux qu’en visio ! ». Le fait est qu’il était mieux qu’en visio. Elle apprécia sa taille, l’allure qu’il dégageait, les vêtements qu’il portait. Elle se félicita d’avoir opté pour des vêtement élégants mais confortables, pas trop aguicheurs. Seuls les dessous étaient affriolants, des fois que la journée se passe très bien.
Pour cette première rencontre, ils s’étaient mis d’accord pour un déjeuner plutôt qu’un dîner, de façon à mieux profiter ensemble du bord de mer. L’ambiance dans le restaurant s’avéra plus détendue et familiale que ce qu’ils auraient pu retrouver pour un dîner. Ils auraient alors peut-être souffert d’une sorte de pression sociale liée à l’atmosphère tamisée, à la présence d’autres couples établis ou en devenir.
La conversation était facile, comme elle l’était jusqu’alors. Elle fut cependant entrecoupée de silences maladroits provoqués par les serveurs qui interrompaient une discussion qu’ils peinaient à reprendre de manière fluide. Il l’avait surprise et quelque peu déçue : il n’aimait ni le poisson ni les fruits de mer. « Mais pourquoi as-tu accepté de déjeuner dans ce restaurant ? » demanda-t-elle incrédule. Il rit à sa tête ahurie. « Parce que je me fiche du restaurant, je trouve toujours quelque chose qui me plaît, où que j’aille. Et ça avait l’air de te faire tellement plaisir. Je te rappelle qu’on est là parce qu’hier tu m’as dit « j’ai passé une journée exécrable, je rêve d’un plateau de langoustines avec un verre de muscadet ! » ».
Elle ne savait pas encore dire si elle était agacée, amusée ou envieuse de sa nonchalance, sa façon de s’accommoder de toute situation, avec flegme et humour. Mais le fait de ne pas partager un plateau de fruits de mer lui gâchait son plaisir. Elle avait l’air de quoi avec sa montagne de carcasses de langoustine face à l’élégance de sa salade végétarienne ? En plus, elle avait des scrupules à se resservir de la mayonnaise, et cela participait à sa frustration.
Pour la tant attendue balade en bord de mer, le soleil, complice, se montra généreux. La plage était parsemée de promeneurs flânant ou sortant leurs chiens, de coureurs et de familles et amis improvisant des parties de foot. Différentes voiles venaient colorer le décor, dans les airs et sur l’eau.
Pour cheminer sans encombre, ils s’approchèrent de la mer descendante. Ils durent alors quitter leurs chaussures. Elle railla son compagnon pour son choix très raccord avec le thème de la journée, et cacha sa réaction horrifiée par la vision du trou dans la semelle d’une des chaussures TBS.
Si la lumière était parfaite en cette fin d’après-midi, l’ambiance était gâchée par l’odeur de vase qui se dégageait des algues échouées tout le long de la promenade. Cela la fit râler. Il ne trouvait rien à redire, c’était un des aspects avec lesquels il fallait composer selon lui. Encore une fois, il faisait preuve d’un flegme décontenançant. Elle lui partagea ses réflexions que lui inspirait ce flegme. Il rit.
« Je fais cet effet-là auprès de beaucoup de personnes !
– Tu as vraiment réponse à tout ! Et des réponses déroutantes ! Elle fit une pause. « Je dois avouer qu’avec toi, je dois faire un effort pour m’adapter et je n’ai malheureusement pas un grand sens de la répartie. » Elle avait un peu bafouillé sur le « malheureusement ». Pas de mots trop longs quand on a bu une demie bouteille de vin blanc ! s’intima-t-elle. Il ne semblait pas avoir remarqué.
– On n’est pas dans un match d’impro, tu n’es pas obligée de surenchérir et de te montrer drôle.
– Non, bien sûr. Ce que je veux dire, c’est que tu as des points de vue différents, ce que je trouve très intéressant, mais aussi intimidant : je voudrais être capable de te proposer un point de vue moins convenu.
– Qu’est-ce qui te dit que tes points de vue sont convenus ? Si je te trouvais inintéressante, on ne serait pas là à se glacer les orteils sur cette plage.
– Tu es peut-être prêt à supporter ma pauvre conversation pour arriver à m’amener dans ton lit ! Tu ne serais pas le premier.
– On n’est pas un peu dans le cliché du mâle qui réfléchit avec autre chose que son cerveau ? Et puis, je te trouve ravissante, mais si je voulais juste un plan cul, j’aurais misé sur une autre que toi et ces semaines à supporter tes supposées platitudes…
– Bon, là je suis perdue : je ne sais plus si je dois m’offusquer ou être flattée ! »
Une rafale de vent vint couper leur rire et dévier le plan de vol d’une escadrille de goélands, les faisant atterrirent au milieu des deux promeneurs. Ceux-ci ne purent s’empêcher de rentrer la tête, redoutant une attaque laiteuse. Ils s’arrêtèrent pour observer les goélands déambuler sur la plage, leur œil traqueur à l’affut du moindre résidu alimentaire sur lequel jeter leur dévolu.
« Je n’aime pas leur regard annonça-t-elle.
– Pourquoi ?
– La forme de l’œil leur donne un air hautain et inquisiteur, j’imagine qu’ils sont mauvais.
– Je n’avais pas remarqué. Je ne regarde que leur vol, leur maîtrise de l’exercice. Quand je les vois atterrir à cette vitesse et une telle adresse, je réalise qu’on est très maladroits avec nos avions ! Les as-tu déjà observés casser des coquillages pour se nourrir ? Ils les lâchent en plein vol, survolent en cercle avant de piquer et recommencent autant de fois que nécessaire. C’est fascinant, je pourrais regarder ce spectacle indéfiniment.
– Je n’ai jamais été très documentaire animalier.
– Oui mais là c’est différent, c’est dans la vraie vie, devant toi.
– Non, mais c’était une façon polie pour dire que le sujet ne m’intéressait pas plus que ça.
– Ah.
Ils reprirent leur marche, silencieusement. Le vent s’était vraiment levé et la faisait frissonner. Elle proposa de rebrousser chemin, ou de rejoindre le front de mer plus abrité.
« Vraiment ?
– Oui, j’ai froid.
– Ah oui, ça se voit.
– Pourquoi j’ai les lèvres bleues, comme les enfants qui ne veulent pas sortir de l’eau ?
– Non, tu as les seins qui pointent. A nouveau, elle ne fut brusquée par cette réponse inattendue.
– Oui, bah rassure-toi, ce n’est que par le froid, marmonna-telle. On rebrousse chemin ?
– J’ai l’impression que la question ne se pose pas vraiment.
– Non, mais tu peux continuer si ça te dit. Moi je rentre.
Ils se faisaient maintenant face, sentant qu’ils avaient atteint le moment clé de leur journée. Elle n’attendit pas sa réponse. Elle voulait partir et qu’il ne la suive pas.
« Merci d’avoir accepté de m’accompagner pour mon repas de langoustines.
– Merci de me l’avoir proposé. J’espère que tu n’en as pas besoin d’un autre pour ce soir ? Il la regardait un peu par en-dessous, bien qu’il soit plus grand qu’elle.
– Non, je ne vais pas en manger à tous les repas, répondit-elle un brin agacée par sa réflexion.
– Je ne sais pas, j’avais compris que c’était le plat qui compensait une mauvaise journée. C’était donc une façon de te demander si tu avais passé une mauvaise journée.
– Excuse-moi, je n’avais pas compris. Décidément, c’est compliqué, ajouta-t-elle dans un demi sourire. Mais tu vois, on ne se comprend pas, tu es obligé de m’expliquer tes blagues. Je n’avais pas ressenti ces décalages jusqu’ici.
– Moi non plus, ou peut-être que ça ne me gêne pas. J’ai l’impression que tu es plus affectée que moi.
– Je suis affectée que toi sur plein de sujets ! Tu es d’humeur égale quoiqu’il arrive ! C’est trop loin de ma façon d’être. Je suis désolée, je ne pensais pas que la journée se finirait comme ça.
– Moi non plus !
– …
– Bon et bien, rentre bien. Je pourrai continuer à t’écrire ?
– Oui, bien sûr. Si tu veux.
– Alors à bientôt ?
Elle s’approcha et se hissa un peu maladroitement pour lui faire une bise, puis se retourna pour rejoindre sa voiture. Elle se sentait soulagée. Elle avait donc pris la bonne décision.
J’ai lu cette nuit cette histoire qui fait très bien progresser l’énervement de son héroïne ; on voit presque dès le début que lui est narcissique, qu’il manque d’empathie et qu’il est plutôt odieux, et à la fin on lui donnerait volontiers une ou deux baffes (par ce « on » je veux dire le lecteur, l’héroïne a très bien fait de partir en courant !)
Je me demande si tu vas lui donner une deuxième chance (à elle, de lui on s’en fiche !) et sur tu vas arranger une nouvelle rencontre avec quelqu’un d’autre… ?
Et question technique : ton wordpress ne te propose-t-il pas la possibilité de mettre la date automatiquement lors de la publication ? Quand tu auras beaucoup de billets publiés, ce serait bien qu’ils soient datés (à mon avis).
Merci pour ton retour sur ce texte. JE ne l’avais pas voulu ni ressenti si odieux ce personnage masculin! 🙂
Je ne sais pas si je vais poursuivre cette histoire.
Pour la question technique, j’ai fait évoluer le site, peut-être que la version d’avant ne prenait pas en charge la date, ce n’est plus le cas maintenant (pour les articles). Mais je vais me pencher sur la question.
* …et si tu ne vas pas lui arranger une nouvelle rencontre…