Corinne – voisine et amie

Corinne – voisine et amie

Corinne finissait de laver la vaisselle lorsqu’elle vit le taxi de Philippe se garer devant la maison voisine. Elle pensa à Diane, à comment allait se passer la soirée et à ce qu’elle lui en raconterait le lendemain, lorsqu’elles se verraient pour prendre le café. Elle savait que Diane enjolivait la réalité et pensait tromper son monde de son humeur égale, de sa prestance et ses gentilles attentions. Elle pouvait jouer de tous les artifices, le meilleur anticerne du monde ne pouvait cacher la pointe de tristesse dans son regard certains jours. Elle était bien cachée, mais avec les années, Corinne savait la détecter. Ces jours-là, elle restait plus longtemps à prendre le café, était moins loquace, s’intéressait plus que d’habitude aux frasques de ses enfants pour ne pas avoir à parler d’elle.

Tiens, ses enfants! Il était temps qu’ils aillent se coucher. Elle se rendit dans le séjour pour assister à la guerre entre ses enfants qui ne se lassaient pas d’attaquer leur père pour le renverser. Combat perdu d’avance, mais c’était touchant de voir leur petite dernière s’acharner et y croire encore. Pour garantir son résultat, Corinne devait rallier le plus grand à sa cause : « Chéri, il est tard, tu laisses les enfants aller se coucher ? »

– Oh non, Maman, encore un peu !

– Non, vous avez assez veillé, pas question de négocier une minute supplémentaire. Allez, au lit et que ça saute ! « 

Christophe cessa le jeu et la seconda pour coucher les enfants. L’opération provoqua une alternance de cris de jeu et de réprimande. Malgré ce tourbillon, les trois enfants étaient finalement au lit et le silence revint. Corinne ramassa le linge éparpillé des enfants et prépara la machine pour le lendemain.

Christophe était installé devant la télé, les yeux dans le vague. Il attendait qu’elle le rejoigne pour choisir ce qu’ils allaient regarder ensemble. Elle alla se préparer une infusion. Elle revint se blottir contre lui, sa tasse chaude entre les mains. Il passa son bras épais autour de ses épaules. Elle pouvait enfin se détendre après cette journée chargée. Elle se lova plus confortablement contre son homme et se mit à penser à Diane. Telle qu’elle la connaissait, elle avait dû passer la journée à préparer les recettes préférées de Philippe, à rendre la maison agréable et chaleureuse, selon les critères de Diane. Dans cette maison, rien ne dépassait, les affaires des enfants avaient une durée de vie limitée si elles venaient à traîner dans l’espace vital de Diane. Pour Corinne, cette maison manquait de vie, et ce n’était pas son excuse pour laisser la sienne désordonnée. Disons qu’elle avait un seuil de tolérance moins vite attient que son amie.

Elle n’avait pas hâte de retrouver Diane et Philippe pour dîner chez eux le lendemain soir. Philippe allait encore chercher à les épater avec ses récits de ce qu’il avait vécu à l’étranger ou de ses déboires dans l’avion alors que tout de même, il voyageait en business. Elle ne comprenait toujours pas ce qui avait attiré Diane chez cet homme superficiel qui ne l’aimait pas, selon elle. Il avait besoin de Diane mais il ne l’aimait pas de manière inconditionnelle et absolue. Diane, éternelle romantique, idéalisait son couple et se voilait la face. Peut-être pas de manière consciente. Elle avait toujours une excuse pour justifier le comportement odieux de son cher et tendre. Elle tenait tellement à correspondre au couple parfait, qu’elle avait enfoui son amour-propre dans les fondations de la piscine qu’ils avaient fait creuser il y a quelques années. Autant dire qu’il fallait une explosion atomique pour le libérer.

La main de Christophe qui pétrissait sa cuisse la tira de ses pensées. Et eux ? Ils s’aimaient comment après tout ce temps et leurs trois enfants turbulents ? Elle détourna son regard de l’écran pour observer son Nounours. C’était le surnom que tous ceux qui le connaissaient lui affublaient sans avoir besoin de se concerter. Son imposante stature était adoucie par son embonpoint et son visage arrondi. Sa pilosité développée finissait de lui conférer cet aspect de douce peluche. C’était sans doute pour ça qu’elle l’avait choisi, elle qui avait été tant frustrée petite de ne pas avoir eu de peluche massive dans laquelle se cacher et à qui confier ses tracas. Elle se lova encore plus douillettement contre son homme qui l’étreignit en retour, sans détacher les yeux du programme. Elle se sentait en confiance, ils pouvaient essuyer des tempêtes ensemble, rien à foutre qu’il n’aille pas parcourir le monde pour rapporter des statuettes improbables pour décorer leur intérieur. Au contraire, elle avait besoin de lui à ses côtés, même si c’était pour jouer à la guerre avec les enfants et transformer leur salon en champ de bataille. Il était là pour eux, c’était important pour elle.

 » Quelle excuse on pourrait se trouver pour éviter le dîner de demain soir? « 

Christophe la regarda en coin.

« Ta copine Diane n’apprécierait pas que tu cherches à l’éviter.

– Ce n’est pas elle que j’évite vu qu’elle vient tous les matins prendre le café. Je cherche à éviter ce moment pénible du show de Monsieur Matuvu.

– Tu es dure avec eux. Moi je suis plutôt content d’y aller. Une soirée entre adultes, sans s’interrompre toutes les cinq minutes pour l’un, l’autre ou l’autre enfant. Et puis c’est toujours intéressant les récits de ses voyages. il visite des pays de l’intérieur, pas comme un touriste, ce n’est pas donné à tout le monde.

– Mais c’est insupportable le ton condescendant avec lequel il t’explique les us et coutumes. On ne voyage pas autant que lui ni dans les mêmes conditions, ce n’est pas une raison pour autant insister sur ton manque de culture.

– Parce que je manque de culture? » Il s’était tendu sur cette réflexion et ne cherchait plus à suivre l’intrigue qui se déroulait sur l’écran.

« Disons que tu n’as pas la même culture. Mais ce n’est pas le sujet.

– Je ne suis pas d’accord. Tu trouves que je ne suis pas assez cultivé? Tu as honte de m’emmener dîner chez Philippe et Diane?

– Mais n’importe quoi !

– Si, je vois bien comme tu m’empêches de leur parler des films et séries qu’on regarde. Tu as honte de ne pas être comme eux?

– Mais arrête, c’est quoi ce procès ? Tu vois, on ferait mieux de ne pas y aller, on va encore se disputer en rentrant. On commence déjà. »

À ces mots, elle fit ses yeux de chat de Shrek et l’embrassa dans le cou. Elle l’entendit grogner. « Ah oui, on chauffe l’inculte? T’es bien contente avec ton inculte quand tu veux des calins, hein?

– Pour ça, tu n’as pas besoin d’un QI de 200 !

– Il vaut mieux, tu ne pourrais pas suivre, lui murmura-t-il en la fixant d’un regard moqueur. Elle éclata de rire faussement offusquée et l’entoura de ses bras.

Sur l’écran de télévision, le programme continua sa logorrhée sans que plus personne ne suive.

2 commentaires

  1. C’est trop bien, et ça élargit la perspective !

    Mais le billet précédent, « Adagio », il était tout caché ! Et comme celui-ci, il n’apparaissait pas dans le flux RSS du blog… C’est mystérieux !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *