Casse-toi !

Casse-toi !

« Salut, c’est l’heure de la sieste non ? T’es toute seule ? »

Ah ça y est, le mec veut se toucher… dans une demi-heure max il envoie une dickpic… Son dimanche prenait une dimension de plus en plus pathétique. Elle répondit de manière quasi automatique, sachant ce qu’il attendait d’elle, tout en continuant sa balade. Si les promeneurs se doutaient des messages qu’elles recevait. Elle ne prenait pas la peine d’ouvrir les photos à usage unique et ça n’avait pas l’air de déranger son interlocuteur. Putain il lui gâchait la balade à force de lui demander si ça lui plaisait, s’il devait continuer. Mais oui continue mon grand, mmmmh comme je suis excitée. En fait d’excitation elle avait froid aux mains à force de les sortir de ses poches pour lui écrire. « Stop ou encore ? » Mais il avait quel âge pour ressortir le nom de ce jeu de l’été sur RTL ? Allez, 3,2, 1,… et voilà une photo nouvelle dans la conversation. Pas besoin de l’ouvrir. Ne surtout pas l’ouvrir oui ! Mais qu’est-ce qu’ils croyaient ces mecs ? C’est tellement moche ! Même en érection, sorti de son contexte de corps masculin c’est juste très moche ! De mauvaise grâce elle répondit: « mmmh c’est très intéressant dis-moi ». C’était pathétique. Mais elle ne savait dire qui était le plus pathétique des deux: lui qui s’agitait, émoustillé par une discussion totalement virtuelle sans l’avoir jamais vue au préalable, ou elle de lui répondre alors qu’elle savait que cela ne mènerait à rien et qu’elle n’y prenait même pas plaisir. C’était presque humiliant et assurément désespérant à la fin. Les filles du téléphone rose étaient payées au moins à l’époque. L’avantage c’est qu’elle n’avait pas à y mettre le ton.

Alors c’était tout ? Personne ne s’intéresserait à sa conversation, ses petites blagues, ses micro-combats contre les tics de langage ? Elle était tout juste bonne à alimenter un fantasme par téléphones interposés ? Elle ne valait pas mieux que ça aux yeux d’aucun homme ? Même une pute était mieux considérée : au moins on désirait son corps, un échange charnel.

Passée la tristesse, la colère fit place. Elle s’en voulait: quelle conne aussi elle avait été de lui avoir répondu. Elle allait passer la seconde et s’en débarrasser vite fait. Elle était venue là pour se changer les idées, prendre le vent glacial de plein fouet et oublier son ennui mortel. Ça ne l’amusait même pas ce type sorti de nulle part qui cherchait une motivation nouvelle pour s’astiquer.

Il s’était enfin soulagé et avait stoppé net ses messages. Le genre à se retourner et à s’endormir une fois l’affaire pliée. Charmant. Quel gâchis et perte de temps ! Pour parachever son agacement, un chien trottinait à sa hauteur malgré les appels de sa maîtresse. L’allure devait lui convenir. Il se retournait par moments vers la crieuse pour lui montrer qu’il l’avait entendue et reprenait son chemin, toujours à côté d’elle.

« Mais j’ai jamais voulu me balader avec un chien ! Tu vois un chien avec moi ? Tu vois pas que je t’ignore ? J’aime pas les chiens ! Tire-toi et va retrouver l’autre feignasse qui ne cherche même pas à te rattraper pour lui redonner un semblant d’autorité ! » Elle était tellement lasse qu’elle n’avait même pas la volonté de s’adresser à lui tout haut, misant sur la lassitude de la bête à ne pas recevoir un seul coup d’œil amusé ou complice pour qu’il arrête de se tenir à côté d’elle. Le petit bruit de ses griffes sur le chemin alimentait son énervement, elle pressa l’allure. Leurs chemins finirent par bifurquer et elle put retrouver sa solitude. Mieux vaut être seule que mal accompagnée. Elle trouvait enfin un sens à cet aphorisme.

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