Writober 23 – Déchirure, déchirer
Elle s’était réveillée le matin en sursaut, en nage. Elle avait rêvé que son ex lui arrachait le cœur pour le déchirer en menus morceaux qu’il avait ensuite piétinés. Ce n’était que pure représentation de sa vision de la rupture.
Comme chaque matin depuis, elle pleurait de découragement à l’idée de devoir affronter une nouvelle journée dans cette triste vie sans lui. Reproduire les mêmes gestes qu’avant, sans lui à ses côté pour les partager, les observer, les commenter.
Typiquement, dans ce supermarché, lieu parmi les plus horribles qu’elle devait fréquenter, elle venait de trouver LE modèle dans LA marque de mousse à raser que son homme affectionnait et avait du mal à trouver. Pendant une fraction de seconde, elle pensa à son petit triomphe quand elle allait lui tendre, une fois rentrée de courses. Et puis elle réalisa. Qu’il ne serait pas à la maison quand elle rentrerait, ni ce soir ni les soirs suivants. Que c’était une autre qui allait se charger de lui procurer ces petits moments de joie du quotidien, en plus des autres grand moments de joie de la vie. Peut-être un enfant. Elle chassa ces idées qui la torturaient d’un mouvement de tête. Mais elle fut impuissante devant la force des larmes. Elle préféra en laisser couler quelques unes, plutôt que de monter un barrage qui cèderait et laisserait place à flot immaitrisable.
Elle saoulait tous ses proches avec ses pleurs. Certains de ses amis s’agaçaient, lui conseillaient de tourner la page. « Un de perdu dix de retrouvés ! ». Quel était le pauvre imbécile qui avait pondu cette phrase? Quelqu’un qui ne savait pas ce qu’était l’amour profond, assurément. Elle ne voulait de personne d’autre que lui. Elle voulait qu’il revienne. Elle voulait qu’on la réconforte en lui disant que non, ce n’était pas possible, il avait fait une erreur, c’était avec elle qu’il devait faire sa vie, qu’il n’était pas aussi heureux avec l’autre. Mais personne ne lui disait ça. Au contraire, sa meilleure amie (ce qualificatif était peut-être à revoir), lui avait installé en douce une application de rencontre et lui avait créé un compte. D’autres lui avaient présenté certains de leurs amis ou collègues. Des hommes tous plus fades les uns que les autres, bien moins beau, séduisant, drôle, cultivé, complémentaire que LUI. Elle avait trouvé son âme sœur qui lui avait échappée. Il fallait maintenant revoir ce qu’elle allait faire du reste de sa vie.
Sur le chemin du retour, elle sourit de constater que ses sacs étaient moins lourds. C’était déjà ça de gagné. Comme elle faisait un détour pour ne pas risquer de le croiser dans le quartier, ça compensait. Et puis l’idée jaillit comme une évidence. Elle allait partir. Elle ne voulait pas passer son temps à éviter de le rencontrer. Seul ou avec sa nouvelle compagne. Et quitte à partir, elle allait quitter le pays aussi. Elle allait faire une demande d’expatriation à sa boîte. Elle allait vivre une nouvelle vie, s’épanouir au contact d’une autre culture, voyager. Et quand ils se reverraient, il n’en reviendrait pas de tout ce qu’elle aurait accompli. Parce qu’ils se reverraient. Leurs destins étaient liés, elle en était persuadée.
Elle était dans ces réflexions quand elle se fit bousculer par un jeune homme en tenue de foot, trop pressé pour prendre le temps de s’excuser.
C’est qu’il était en retard. A cause de son père qui l’avait retenu. Son père avait passé une mauvaise journée et avait eu besoin d’un peu de réconfort en passant du temps avec son fils. Un jour il allait le tuer. Parricide. Il adorait ce mot.
Il était en retard pour l’entrainement. C’était son premier match depuis qu’il avait ré-intégré l’équipe. Il avait été patient, il avait ravalé sa fierté, fait profil bas, comme il se l’était promis. Et ça avait payé. Edouard avait accepté de s’entrainer avec lui et il formaient un bon binôme. Sa technique avait progressé.
Il arriva au stade, l’échauffement était bien avancé. Il présenta ses plates excuses au coach qui ne le crut pas. Il était en colère après lui:
« Je te fais jouer un match et tout ce que tu trouves à faire, c’est d’arriver en retard? A quoi tu joues? Tu intégreras le match après ton échauffement, tant pis pour toi. »
Il fit quelques tours de stade et assista au début de la rencontre en spectateur. Il bouillait d’impatience de rejoindre ses co-équipiers, de goûter au piment de la compétition, de la confrontation avec l’autre équipe. Il fit l’impasse sur quelques étirements et se présenta au coach.
Lorsqu’il entra sur le terrain, il se sentit pousser des ailes. Il était déterminé, plus rien ne comptait que le jeu. Il se régalait des passes et des tactiques mises en place avec Edouard. Ca marchait trop bien!
Et puis une douleur foudroyante dans la cuisse gauche le stoppa net. Il s’écroula, le souffle coupé par l’intensité de la douleur. Il fut évacué dans les vestiaires. Le match aura duré trente minutes pour lui. Il laissa se déverser ses larmes de rage et de souffrance.
Il était maintenant dans l’infirmerie avec le coach. Celui-ci avait eu la délicatesse de ne pas l’accabler avec des « Je t’avais bien dit de ne pas négliger l’échauffement, mais tu continues à en faire qu’à ta tête ! » Ils attendait son père qui devait le récupérer. La double peine. Il était tellement désespéré. Finis les plans de carrière, son avenir radieux qu’il s’était imaginé était mort-né avec cette blessure.
Son père arriva et s’inquiéta de ce qu’avait son fils. Le coach le rassura:
« Ce n’est qu’une déchirure musculaire. Je vous recommande cependant d’aller voir un médecin. Cela se soigne facilement, avec quelques analgésiques et du repos pendant environ six semaines.
– Du repos?
– Oui, tu vas rester chez toi et reposer ta jambe et on reprendra les entraînement progressivement.
– Ca va s’arranger, je vais m’occuper de toi. Il faut tu te reposes autant qu’il le faut. » Son père avait entrepris de le faire se lever et de le soutenir pour l’aider à sortir de la pièce.
Il ne put réprimer un regard paniqué. Le coach l’intercepta et le regarda, interrogateur. Il baissa le regard et claudiqua jusqu’à la sortie. Il ne savait pas si ses tremblements étaient dû à sa sueur refroidie, la douleur ou la perspectives des semaines immobilisé à la maison avec son père.
Ce texte s’inscrit dans une série qui s’alimentera au cours du mois d’octobre, en lien avec un détournement de Inktober. Le détournement est une idée de Kozlika : au lieu d’un dessin par jour, ce sera un texte inspiré par le mot du jour
2 commentaires
Ah ha ha, tu tiens à l’histoire du jeune footballeur ! J’avoue que je ne m’attendais pas à ces « vies croisées » pleines de déchirures… Mais par contre, maintenant je me demande s’il y aura des épisodes ultérieurs sur la jeune femme délaissée… ! (oui, je suis resté un peu sur ma faim)
Ah oui je suis comme Pablo, je veux savoir la suite.
Pourquoi ce croisement de vie ?!
Ps : je connais pas bien, mais y a t-il une limitation au nombre de texte que l’on peut publier par jour dans WordPress ?